Vous l’aurez sans doute devinez, Afropolitanis est tiré du concept Afropolitanisme que je découvre en 2013 lors de mes études sur l’Afrique contemporaine au Département d’Etudes Africaines de l’Université de Dschang. C’est l’une des clés pour comprendre la pensée de l’éminent historien camerounais Achille Mbembè, un des grands théoriciens contemporains des Etudes Postcoloniales; un mouvement qui a aujourd’hui le vent en poupe, bien que certains les considèrent juste comme un carnaval académique. Le concept me fascine par sa richesse sémantique et je décide d’en découvrir davantage à travers des recherches supplémentaires. A la fin, je découvre ce qu’est l’afropolitanisme et ce qu’être afropolitain signifie.
D’après Achille Mbembè, l’Afropolitanisme est « la conscience de cette imbrication de l’ici et de l’ailleurs, la présence de l’ailleurs dans l’ici et vice-versa, cette relativisation des racines et des appartenances primaires et cette manière d’embrasser, en toute connaissance de cause, l’étrange, l’étranger et le lointain, cette capacité de reconnaître sa face dans le visage de l’étranger et de valoriser les traces du lointain dans le proche, de domestiquer l’in-familier, de travailler avec ce qui a tout l’air des contraires ». Pause ! Tout comme toi, je n’avais capté que 54% du sens de ce qu’il voulait dire. Pas que je suis bête mais lire Achille Mbembè nécessite d’être « bien calé » avec un ventre satisfait, sinon on passe facilement à côté de ce qu’il veut dire. C’est grâce à des lectures supplémentaires que j’ai finalement saisi que l’Afropolitanisme était bien plus qu’un concept mais aussi une attitude requérant des aptitudes et un savoir être.
L’Afropolitanisme est donc la prise de conscience du métissage identitaire et culturel. C’est une marche vers autrui et une démarche envers l’Autre que l’on entame avec l’esprit d’ouverture et de fraternité. C’est comprendre que le monde n’est point homogène ni pure et qu’il ne le sera jamais. Nous avons une part de nous dans l’autre tout comme l’Autre se retrouve en nous. Effectuer ce dépassement des identités racines permet de définir une « politique de partage des singularités et des différences dû au passé ». L’Afrique est aujourd’hui le laboratoire de profondes reconfigurations sociales et culturelles et l’Afropolitanisme permet d’appréhender certaines d’entre elles.
A l’orée du siècle, nombreux sont ceux aux yeux desquels est « Africain » celui qui est « noir » et donc « pas blanc », le dégré d’authenticité se mesurant, dès lors, sur l’échelle de la différence raciale brute. Or donc, il se trouve que toutes sortes de gens ont quelque lien ou, simplement, quelque chose à voir avec l’Afrique – quelque chose qui les autorise ipso facto à prétendre à la « citoyenneté africaine ». Il y a, naturellement, ceux que l’on désigne les Nègres. Ils sont nés et vivent à l’intérieur des Etats africains dont ils constituent les nationaux.
Mais si les Négro-Africains forment la majorité de la population du continent, ils n’en sont, ni les uniques habitants, ni les producteurs uniques de l’art et de la culture. Venus d’Asie, d’Arabie ou d’Europe, d’autres groupes de populations se sont en effet implantés dans diverses parties du continent à diverses périodes de l’histoire et pour diverses raisons. Certains sont arrivés en conquérants, marchands ou zélotes, à l’exemple des Arabes et des Européens. Fuyant toutes sortes de misères, cherchant à échapper à la persécution, simplement habités par l’espoir d’une vie paisible ou encore mus par la soif des richesses, d’autres se sont installés à la faveur de circonstances historiques plus ou moins tragiques, à l’exemple des Afrikaners et des Juifs.
Main-d’oeuvre pour l’essentiel servile, d’autres encore ont fait souche dans le contexte des migrations de travail, à l’exemple des Malais, des Indiens et des Chinois en Afrique australe. Plus récemment, Libanais, Syriens, Indo-Pakistanais et, ici ou là, quelques centaines ou milliers de Chinois ont fait leur apparition. Tout ce monde est arrivé avec ses langues, ses coutumes, ses habitudes alimentaires, ses modes vestimentaires, ses manières de prier, bref, ses arts d’être et de faire. Aujourd’hui, les rapports qu’entretiennent ces diverses diasporas avec leurs sociétés d’origine sont des plus complexes. Beaucoup de leurs membres se considèrent comme des Africains à part entière, même si, par ailleurs, ils appartiennent également à un ailleurs.
C’est cette imbrication de l’ailleurs dans l’ici que Mbembè appelle « l’immersion ». Elle toucha, à des degrés divers, les minorités qui, venant de loin, finirent par faire souche sur le continent. Le temps s’écoulant, les liens avec leurs origines (européennes ou asiatiques) se compliquèrent singulièrement. Au contact de la géographie, du climat et des hommes, ils devinrent des bâtards culturels.
Par contre, l’Afrique a aussi été le point de départ en direction de plusieurs autres régions dans le monde. Cette circulation de l’ici vers l’ailleurs s’est essentiellement déroulée durant les Temps Modernes à travers les trois couloirs que sont le Sahara, l’Atlantique et l’Océan Indien. Ces Africains sont prêts à tout pour parvenir là bas, endurant les pires atrocités durant leur périple vers un Paradis perdu. Mais ces mouvements migratoires contemporains des africains vers l’Ailleurs ont débuté il y’a longtemps avec l’esclavage. La principale différence c’est qu’il s’agissait de migrations forcées alors que celles d’aujourd’hui sont volontaires, motivées ou inspirées par la Colonisation.
Au finish, l’on retrouve des millions de personnes d’origine africaine qui sont des citoyens-monde, membre de la diaspora africaine élargie. Des traces de l’Afrique sont ainsi présente ailleurs tout comme les traces de l’Ailleurs sont visibles ici. L’Afrique n’est donc pas un monde à part mais une part du monde. Il y’a une partie essentielle de l’histoire africaine qui se trouve ailleurs tout comme il y’a une histoire du reste du monde dont nous sommes les acteurs et dépositaires.
Ainsi notre manière d’être au monde, notre façon « d’être monde », d’habiter le monde, s’est toujours effectué sous le signe du métissage culturel ou du moins, de l’imbrication des mondes dans une lente et parfois incohérente danse avec des signes que nous n’avons guère eu le loisir de choisir librement, mais que nous sommes parvenus, tant bien que mal, à domestiquer et à mettre à notre service. Je ne viens ici que de vous donner une des trois dimensions de l’identité afropolitaine : la prise de conscience du métissage culturel du monde car aucune race quelconque n’est pure. Toutes les cultures, traditions et identités sont hybrides ou métisses.
Voici la première raison pour laquelle je me considère comme étant « Afropolitain » et pas seulement « Africain » car cela est à mon gout, un peu réducteur. Et toi, es-tu africain.e ou afropolitain.e ?