Comment apprendre à manger avec appétit tous les repas du monde : une approche afropolitaine de l’art culinaire

Article : Comment apprendre à manger avec appétit tous les repas du monde : une approche afropolitaine de l’art culinaire
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01/09/2019

Comment apprendre à manger avec appétit tous les repas du monde : une approche afropolitaine de l’art culinaire

1.    Comment être culinairement afropolitain ?

Au-delà de la valeur nutritive, toute nourriture a une dimension culturelle.

Tout art culinaire s’inscrit dans un contexte culturel bien défini. Aucune recette n’a été créée ex nihilo, car même les nouvelles recettes ou expérimentations culinaires s’appuient sur des gouts, saveurs ou pratiques culinaires antérieurs.

Dans chaque pays, il existe des plats nationaux, consommés par la majorité de la population. Et parfois même certaines localités ou communautés possèdent des plats locaux dont la préparation n’est véritablement maitrisée que par les originaires ou ressortissants de ladite communauté, le plus souvent de la mère à la fille.

Mbongo Tchobi, un plat typique du Cameroun
Mbongo Tchobi, un plat typique du Cameroun

Si vous faites un tour par le Cameroun, vous ne sauriez repartir sans déguster du bon Ndolè à la viande et du macabo, du Mbongo Tchobi avec le plantain mûr, du Koki avec de la banane, des pommes pilées avec du haricot rouge, du Topsi banana (ou banane malaxée avec des arachides), etc. Bref, si vous êtes un touriste afropolitain comme moi, je ne visite jamais un pays sans déguster au moins deux à trois plats locaux. S’il est vrai qu’il s’agit d’une pratique courante pour moi, ce n’est pas forcément le cas pour certains qui s’adaptent très difficilement à de nouveaux repas qu’ils ne reconnaissent pas, parce que n’existant point dans leur pays d’origine.

J’ai une collègue ivoirienne, Josy, qui a vécu plus d’une année au Ghana sans jamais manger un plat purement local comme le Kenkey, du maïs frais préparé sous forme de foufou qu’on mange avec du piment frais écrasé ou du Shitoh, du piment noirci. En revanche, elle consomme des plats comme le Jollof, fait à base de riz, ou du Waakye, aussi à base de riz cuisiné avec du haricot, du spaghetti et de la sauce tomate ou du tapioca. Elle « tolère » ces repas parce que cuisinés à partir d’aliments qu’elle reconnait ou du moins qui lui sont familiers. Sinon, le reste de son alimentation est composée de plats ivoiriens disponible dans certains restaurants, notamment de l’Atiéké.

Josy n’est cependant qu’un cas parmi tant d’autres. Lors de mes voyages afropolitains, j’ai rencontré de nombreuses autres personnes résistantes à la différence culinaire. Pendant la formation du YALI Accra, certains ne dégustaient la cuisine purement locale qu’après plusieurs semaines, et parfois, nécessitaient des encouragements pour se lancer !

Alors, face à mon appétit immédiat pour l’art culinaire local, il m’a toujours été demandé :

COMMENT FAIS-TU POUR MANGER AVEC AUTANT DE DÉLECTATION UN PLAT ÉTRANGER QUE TU DÉCOUVRES POUR LA PREMIÈRE FOIS ?

Hier soir, en causant avec une amie camerounaise (Davina Tchuente) à travers WhatsApp, elle m’a également interrogé :

  • Christian, j’ai découvert plusieurs photos de repas différents et parfois bizarres sur ton statut lorsque tu étais en congé au Togo et au Bénin. Les as-tu tous véritablement mangés ?
  • Oui, répondis-je, avec enthousiasme et mélancolie.
  • Étaient-ils tous bons ? Surtout le foufou noir que tu avais posté là ?
  • Oui ! Oui ! C’était du Telibo ou Amalà, de la pate noire faite à partir d’igname grillé. Je l’ai particulièrement apprécié.
  • Hum ! Toi ci, Christian ! Tu as le ventre du porc ! lança-t-elle en rigolant.
  • Ah oui oui ! J’ai aussi un ventre afropolitain, un ventre 4 x 4, tout terrain et flexible qui s’adapte très facilement à tous les repas du monde, lui répondis-je tout en souriant également.
  • Massah ! Comment tu fais noh ? Moi je ne peux pas hein !
  • Il suffit d’avoir un regard afropolitain sur l’art culinaire, car il existe une dimension culturelle et émotionnelle dans tout repas. Dès lors que tu compris et accepté cela dans ton imaginaire, le tour est joué.
Un plat de Telibo ou Amala, de la pate noire que j'ai dégusté pour la première fois au Bénin.
Un plat de Telibo ou Amala, de la pate noire que j’ai dégusté pour la première fois au Bénin.

2.   En quoi consiste la dimension émotionnelle d’un repas ?

De la dimension culturelle de la nourriture, nait la relation émotionnelle à un repas.

Je reconnais que cette phrase peut paraitre herméneutique. Mais ne t’inquiètes point : je m’explique. Comme sus indiqué, tout repas est ancré dans une tradition locale. Ainsi les populations créent des recettes à partir des ingrédients disponibles et accessibles dans leur environnement. Et lorsqu’on est habitué à consommer un repas, on finit forcément par l’apprécier et à le trouver bon. Si c’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est également en mangeant que vient l’appétit. Autrement dit, ce n’est qu’après avoir consommé un plat à plusieurs reprises, qu’on parvient à véritablement l’apprécier ou le savourer. Les experts en vins ou œnologues sont capable d’identifier et de reconnaitre la marque d’un vin, son époque etc., juste à travers le gouter. Comment y parviennent-ils ? A travers une expérience pratique et répétitive, qui peut parfois s’étendre sur plusieurs années de consommation de ces vins.

De ce fait, un profane ou amateur de vin ne peut véritablement connaitre la valeur ou le prix véritable d’un vin rien qu’à partir de l’embouteillage. Si vous donner un champagne ou vin de luxe à un papa du village, même si cela coute cent fois plus que sa bière locale, comme le matango au Cameroun, il ne l’appréciera jamais à sa juste valeur.

Du vin de raphia ou matango, une boisson locale au Cameroun
Du vin de raphia ou matango, une boisson locale au Cameroun

Pourquoi ?

La réponse est simple : il n’a pas l’habitude de consommer ce vin rouge. Par conséquent, le lien émotionnel est très faible par rapport à son matango ou vin de palme, qui lui plonge régulièrement dans les méandres aphrodisiaques et euphoriques.

Il en est de même pour la nourriture, un étranger ne peut pleinement apprécier la saveur ou valeur d’un repas local que s’il est « initié », ouvert, prédisposé et mentalement préparé à apprécier ce repas. Les habitants locaux mangent avec délectation leur repas parce qu’il existe ce lien émotionnel et culturel avec ce dernier. Alors, tu me demanderas bien évidemment :

3.   Comment développer une approche afropolitaine de l’art culinaire étranger ?

Comment réussir à apprécier un repas étranger qu’on mange pour la première fois ?

Ma tactique est très simple 😊

  • Je reconnais d’abord que tout ce que Dieu a créé est bon et utile (1), d’une manière ou d’une autre. Par conséquent, ce qui ne se mange pas en deçà des Pyrénées, se mangera forcément au-delà. Mon cher enseignant d’épistémologie à l’Université de Dschang, Jacques Chatué, nous disait souvent que même les herbes qu’on piétine ici sont recherchées et consommées ailleurs. Rien n’est impossible dans ce bas monde. Seul les voyages permettent d’explorer et découvrir de nouvelles pratiques culinaires, toutes plus originales les unes que les autres.

 

  • De la reconnaissance de la diversité inhérente des pratiques culinaires, nait l’ouverture de mon imaginaire (2). A partir du moment où je (re)connais que toute plante existante peut être consommée, je suis plus ouvert et préparer à découvrir et accepter la différence. Ainsi, lorsqu’il m’arrive de découvrir, lors d’un voyage, que les populations locales ont des modes de consommation ou de préparation très différents de ceux que je connais, j’accepte plus facilement cette différence parce que déjà préparé au niveau de mon imaginaire.

 

  • L’ouverture de mon imaginaire facilite la communication interculturelle, c’est-à-dire une démarche vers et envers autrui. A ce niveau, c’est l’attitude qui entre principalement en jeu. Je me dis : « Si je vois des personnes consommer tel repas avec appétit, c’est qu’il est forcément bien, du moins pas nocif à la santé. Donc, il me suffit d’ordonner à mon psychisme ou de commander mon cerveau, de considérer également ledit repas comme étant bien.»

Cette attitude réceptive facilite grandement l’appréciation dudit repas. Avant de manger, je ne me demande pas si le repas est bon ou pas, mais je le considère plutôt comme étant « bien ». Le « bon », en rapport avec le gout, est relatif, cela dépendra ainsi de mon expérience dégustatrice personnelle. Mais dans la majorité des cas, j’apprécie toujours au premier essai, les plats étrangers. Mes amis togolais (Paul Katassoli, Judes Assoti…), béninois (Marie Rosine Boko, Angelo Dhossou, Jean Paul Lawson, Razakou Bassaou,…), béninois, congolais, Ghanéens etc., peuvent le confirmer. Mon secret repose sur :

la Poétique de la Relation, une approche globalisante des singularités culinaires.

 

Voilà ainsi partager mes astuces. J’espère qu’elles te seront utiles et te permettront d’être culinairement afropolitain comme moi. N’hésite pas à partager en commentaire, ton avis sur tes expériences culinaires ou suggestions. Par exemple, pensez vous qu’il existe un « goût universel »? Une recette dont la valeur et l’appréciation positive serait partagée par tous ? Quoi qu’il en soit : Bon appétit !

Afropolitainement Votre !

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Commentaires

Manikwe
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super tes astuces. Moi aussi j'aimes découvrir les nouveaux plats et boissons et généralement je ne suis pas déçu.

Christian ELONGUE
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Super ! Je suis ravi de savoir que ta bouche également est afropolitanisée ! :)