Pourquoi les startups africaines doivent s’intéresser au développement rural?
Introduction
Le développement rural est plus qu’un simple développement agricole car il englobe un espace, l’espace rural, où l’agriculture est au centre du système socio-économique mais au sein duquel existent des activités différentes, avec des fonctions et des objectifs diversifiés, qui sont tous à intégrer et coordonner dans une optique de développement cohérent, durable et solidaire.
Depuis des décennies, l’Afrique rurale enregistre de profondes mutations sociodémographiques, économiques et environnementales (Losch et al., 2013), dont l’étude doit être un préalable pour les politiques de développement rural sur le continent. Au milieu de ces transformations multiformes, les populations rurales tentent de s’affranchir des barrières de la pauvreté, à travers un ensemble d’activités, dans leurs modes traditionnels d’organisation de la vie économique rurale.
Par ailleurs, au-delà des solutions à trouver aux problèmes propres aux sociétés rurales, la satisfaction de certains besoins des villes dans une Afrique en urbanisation rapide exige des approches nouvelles du développement rural de l’Afrique (Loshc, 2014). C’est à juste titre que Mwanza et Kabamba (2002) affirment que le défi de développement en Afrique est indissociable du devenir des espaces ruraux.
Selon la Banque Mondiale, les opportunités économiques liées aux PME sont également loin d’être négligeables : dans les pays en développement, les technologies de l’information et de la communication (TIC) et les technologies mobiles affichent une forte expansion, tandis que, dans le secteur des technologies propres, les PME peuvent mettre à profit un marché qui se chiffrera à 1 600 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie[1]. Selon la Doing Business 2017 récemment publiée par la Banque mondiale, l’Afrique subsaharienne est la région du monde qui a enregistré le plus grand nombre de réformes visant à améliorer le climat des affaires en 2013-2014. Ses chiffres sont des résultats encourageant même si des reformes doivent être poursuivies pour l’amélioration de l’écosystème des Startups et des PME Africaines.
Face à ces enjeux multiples de développement d’une part, et, d’autre part, considérant les opportunités qu’offrent le développement des TIC et des technologies mobiles en Afrique, quel modèle d’entrepreneuriat rural promouvoir pour le développement rural durable et sa participation au développement global de l’Afrique ? Quels acteurs de développement pour donner cette dynamique nouvelle au développement rural de l’Afrique ?
Dans cet environnement, le développement rural doit intégrer les stratégies de Startupers Africains, en vue de contribuer à briser le cercle vicieux de la pauvreté et du sous-développement persistant dans les milieux ruraux africains. C’est cette problématique qu’aborde la présente publication, dont l’objectif est de mettre en relief quelques canaux et mécanismes par lesquels le développement rural et agricole est un sous-secteur porteur pour les Startups africaines.
Quand le développement rural coïncide quasi totalement avec l’agriculture en Afrique
Dans les pays en développement partout dans le monde, l’agriculture joue un rôle moteur dans le développement rural. En Afrique subsaharienne rurale en particulier, où vivent entre 65 à 70% de la population totale (World Bank, 2015), l’activité économique est dominée par l’agriculture qui est de type familiale.
En Côte d’Ivoire, sur la période de 1958 à 2015, le PIB agricole représente, en moyenne, 28,40% du PIB global (FAO[2], 2015). L’agriculture familiale y produit plus de 80% de la nourriture consommée dans le pays, et emploie plus de 60% de la population active. En 2014, les prélèvements effectués sur les exportations du cacao (dont la production est essentiellement issue des exploitations familiales) représentent 40% des recettes d’exportations et 30% des recettes fiscales (PANAFCI[3], 2014, p.7). Ce mode d’organisation de l’activité agricole mérite donc une attention particulière, non exclusive. Car, par-dessus tout ce qui précède, l’agriculture familiale intègre aux objectifs économiques de production de biens et services agricoles les autres composantes du développement durable : le social et l’environnement.
Suivant la théorie de la transformation structurelle des économies[4] (Lewis, 1954), cette structure agricole des économies africaines devrait se transformer, à l’image d’autres pays, aujourd’hui émergents, comme la Chine. Analysant l’économie de la Chine sur une longue période, Shapiro Howard, montre qu’il est possible de capitaliser les « transformations structurelles » intervenues dans une économie et qui la font passer d’une économie essentiellement agricole à une économie industrielle.
De 1952 à 2004, le poids de l’agriculture dans le PIB de Chine est passé de 50% à 14%[5]. Ces résultats ont été possibles grâce au volontarisme du gouvernement chinois, qui envoya des ingénieurs et des scientifiques dans les campagnes pour transférer les connaissances et la technologie aux agriculteurs et encourager la croissance des entreprises non agricoles (Shapiro, 2017). Le partage des connaissances, combiné à de meilleures liaisons d’infrastructures entre les petits agriculteurs, les usines de transformation et les entreprises de vente au détail, est au cœur du succès de la Chine.
Dans le contexte des pays Africains, il est indéniable que compter seulement sur les ressources de l’Etat et les structures publiques d’appui au développement rural de l’Etat limiterait ce processus. Dans ce contexte, nous pensons que les Startups ont aussi leur rôle à jouer.
Pourquoi les enjeux du développement rural et l’agriculture sont une opportunité pour les Startups ?
La dynamique de transformation et de croissance en cours dans l’ensemble des pays Africains est une opportunité à saisir pour les jeunes Startups. S’il est vrai que la croissance est beaucoup plus perceptible en zone urbaine, elle crée aussi des opportunités dans l’ensemble des zones rurales, avec la hausse des prix globaux des matières premières agricoles ses dernières décennies. La démographie galopante dans ces zones est aussi une opportunité à saisir. Nous pensons que les Startups Africaines doivent se les approprier, pour saisir les opportunités suivantes :
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Améliorer l’accès aux intrants et aux systèmes agricoles améliorés aux producteurs:
Le Challenge pour les Startups de l’agribusiness est de trouver les meilleures stratégies possibles afin d’assurer la disponibilité en semences et en intrants de qualité aux petits producteurs. En effet avec les défis du changement climatique, les challenges sont l’agriculture intelligente, les semences améliorées et tolérantes, les engrais, et les kits de petite irrigation. Dans ce sens, certains besoins des Startups sont en train d’être résolu par la recherche.
Certains projets d’appui au secteur agricole procèdent à la domestication et à l’amélioration génétique de certains aliments traditionnels ou cultures orphelines. A tire d’exemple, le Consortium africain des cultures orphelines (AOCC) va procéder au séquençage des génomes de 101 cultures africaines sous-utilisées et mettre ces informations à disposition du public. Selon Tony Simons, Directeur Général de ICRAF, « ces nouvelles données permettront aux spécialistes de la reproduction végétale d’utiliser les mêmes techniques que celles utilisées dans les cultures en Europe, à l’image du maïs par exemple et de faire rapidement
progresser les cultures africaines » [6].
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Organiser le marché local des produits agricoles
Comme le souligne Bruno Losch dans son article au titre évocateur, « L’Afrique des villes a encore besoin de l’Afrique des champs » (Losch, 2014), un des canaux de libération de l’Afrique rurale est de permettre aux paysans de bénéficier du juste prix de leur labeur. En effet, depuis les indépendances les initiatives publiques en termes d’organisation de la commercialisation des produits agricoles n’ont jamais eu de succès réel. Parallèlement, les intermédiaires informelles entre les pauvres paysans et les villes ont toujours payé aux paysans leurs produits à des prix de misère.
C’est cette fracture entre la demande et l’offre que tente d’améliorer l’Ivoirien Khan Jean Delmas Ehui avec son Projet Lôr Bouôr. D’après les prévisions des Nations Unies[7], plus de la moitié de la croissance de la population mondiale d’ici 2050 devrait se produire en Afrique. La population de ce continent pourrait ainsi plus que doubler d’ici 2050, passant de 1,1 milliard aujourd’hui à 2,4 milliards en 2050, pour atteindre 4,2 milliards d’ici 2100. Et il faudra nourrir ces populations dont la majorité vivra en villes. Il faudra, non seulement, produire en quantité suffisante et en qualité, mais aussi et surtout trouver des acteurs et des canaux équitables pour « envoyer » les produits des champs vers les villes.
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Appuyer la mécanisation et la transformation des produits agricoles en milieu rural
Les besoins de mécanisation et de transformation des produits agricoles sont tous les bienvenus en vue d’accompagner les dynamiques de créations de pôles agroindustriels au sein de nos pays. Les Startups doivent inonder cette niche en vue de créer de la valeur ajoutée au niveau local. Comme l’a dit Bakayoko Lamine CEO du Groupe AVVA, il existe autant de spéculations agropastorales qui n’attendent qu’un tout petit peu de valeur ajoutée, combiné avec une micro ou mini industrialisation pour favoriser la création de nombreux emplois et la sédentarisation des milliers de candidats à l’immigration.
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Faciliter l’accès à l’éducation et à la santé
La santé et l’éducation sont une préoccupation pour l’ensemble des pays d’Afrique subsaharienne. En milieu rural, elles sont très importantes car elles agissent sur la productivité et l’autonomisation économique desdites populations. Toutefois, des investissements sont consentis et des réformes opérées dans le secteur par les gouvernements dans l’objectif d’améliorer la qualité et l’accessibilité des soins et de l’éducation pour tous. Avec la libéralisation des secteurs de la santé et de l’éducation, des initiatives de jeunes dans ce secteur peuvent améliorer les indicateurs de santé et d’éducation en milieu rural et aussi réduire la fracture entre les zones urbaines et rurales.
Ces initiatives peuvent aller de la création d’écoles adressant des nouvelles thématiques comme proposées par l’African Leadership Academy du Ghanéen Fred Swaniker et de cliniques en milieu rural à l’introduction d’innovations technologiques. Dans cet ordre d’idée, nous pourrons parler au niveau de la santé de CardioPad du Camerounais Arthur Zang dont l’objectif est de combler le déficit de Médecin spécialiste des Maladies du cœur et au niveau de l’Education, du sac solaire SolarPak qui veut faciliter l’apprentissage aux élèves vivant dans les zones rurales (selon la BAD 700 Millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité).
Conclusion
L’une des contraintes pour la lutte contre la pauvreté a été résolue en partie sur certains continents. Les études de cas en cours d’expérimentation en Afrique démontrent que les gouvernements, les entreprises et les associations de la société civile peuvent offrir des services agricoles aux agriculteurs. De jeunes inventeurs et chercheurs Africains ont mis au point des outils, des procédés peu couteux et efficaces dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’agriculture et de l’énergie. Nous devons simplement imaginer des stratégies indigènes qui nous permettent de faciliter l’accès à ces solutions aux populations Africaines, vivant dans ses localités dites reculées. Le véritable défi aujourd’hui pour endiguer la pauvreté en Afrique reste donc la bataille de la stabilité et de la « logistique ».
Pour réussir ce challenge, nous avons besoin de volonté, de plus de personnes, dirigeants d’initiatives de développement humain au sein de leur Startups. Pour voir croître ces initiatives, nous pensons qu’il faut plus de personnes qualifiées dans les domaines du développement humain, des spécialistes de la santé, de l’éducation, de la formation des agriculteurs et des commerciaux. Des personnes qui dédient leur carrière pour améliorer les conditions de vie des autres.
La rentabilité des entreprises sociales Africaines n’est plus à prouver. Le principal combat reste maintenant celui de la synergie de leur effort en vue d’appuyer une gigantesque opération de plaidoyer auprès des investisseurs nationaux et internationaux. Les capitaux privés et les philanthropes dans le monde doivent savoir qu’il existe une armée de jeunes dédiés au combat de la lutte contre la pauvreté, maitrisant mieux les écosystèmes africains et qui ont besoin de plus de fonds de roulement et de capitaux risques pour accroître leur impact. Selon Andrew Youn CEO de One Acre Fund « Techniquement parlant, c’est incroyablement possible de mettre fin à la pauvreté. Nous devons juste distribuer des biens et services reconnus à tout le monde. ».
Contributeur: GUENIN SAHI Stephane Diomandé, Ingénieur Agroéconomiste
Références bibliographiques
Losch, B., 2014. L’Afrique des villes a encore besoin de l’Afrique des champs, Le Déméter 2014, p. 95-114.
Losch B., Magrin G., Imbernon J. (dir.), 2013, Une nouvelle ruralité émergente. Regards croisés sur les transformations rurales africaines. Atlas pour le Programme Rural Futures du NEPAD, Montpellier : Cirad.
Hugo Mwanza et Kabata Kabamba, 2002. « Pauvreté et marginalisation rurales en Afrique au sud du Sahara », Belgeo, 1 | 2002. URL : https://belgeo.revues.org/15423 ; DOI : 10.4000/belgeo.15423
PANAFCI (2014). Défis, propositions et engagements des organisations de producteurs et de la société civile pour la promotion de l’agriculture familiale en Côte d’Ivoire. Document de propositions de mesures politiques pour le développement de l’agriculture familiale. Inades-Formation Côte d’Ivoire, décembre 2014.
Kathleen Beegle, Luc Christiaensen, Andrew Dabalen, Isis Gaddis, 2016. Poverty in a raising Africa. Washington DC : World Bank, [2016].
Lewis, W., 1954. Economic development with unlimited supplies of labour. The Manchester School 22, 139–191.
Autres ressources et vidéos sur le sujet
[1] https://www.infodev.org/publications/green-industries
[2] https://www.fao.org/nr/water/aquastat/data/query/results.html
[3] Plateforme d’Action Nationale pour l’Agriculture Familiale en Côte d’Ivoire
[4] Cette théorie soutient la thèse d’un unique sentier de développement (Chemin de Lewis), par lequel les pays en développement transforment la structure de leurs économiques et passent des économies centrées sur l’agriculture à des configurations plus diversifiées, basées sur l’industrie, puis les services et les télécommunications (Losch, 2014).
[5] Contribution de Shapiro Fighting economic inequality through the food supply chain
[6] https://www.fao.org/news/story/fr/item/1032668/icode/
[7] https://www.un.org/french/newscentre/
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