Quand le doute devient une richesse.
Cette phrase simple mais profonde résume à merveille la pensée de l’écrivain franco-égyptien Robert SOLE lors du Café littéraire organisé par l’Institut Français d’Alexandrie.
Ce romancier profita de son passage dans son pays d’origine pour entretenir les francophiles parmi lesquels le Consul de France à Alexandrie, sur sa carrière d’écrivain, de journaliste et d’historien. Il souligna d’emblée que ces trois casquettes ne se superposaient point mais s’imbriquaient à merveille. D’une part le journalisme lui a permis de faire de nombreuses rencontres à travers des voyages et des enquêtes. Elle lui permet de questionner et de commenter l’actualité, le réel. D’autre part, l’écriture romanesque lui permet de transcender le réel, de se transplanter dans l’imaginaire et de revisiter la mémoire ou le passé. En effet, « le passé le passionne mais ne l’y enferme pas ». S’inspirer du passé est certes bien mais l’écrivain se doit de le transgresser et de le transpercer à travers une écriture critique sur les problèmes de la société. Pour ce qui est de la société égyptienne, il souleva que ces problèmes étaient davantage d’ordre économique (fracture sociale), sécuritaire (incident du Sinaï) et humanitaire (droits de l’homme). Enfin, sa carrière d’historien enrichit sa création de faits, de détails qui se reflètent par la beauté de ses descriptions et la richesse de ses récits. Histoire, mémoire et devoir d’écriture sont donc intimement liés.
En outre, l’ancien rédacteur de la rubrique religieuse du Quotidien français Le Monde, déclarera que la religion et la question identitaire sont au cœur des plus grands enjeux contemporains. S’agissant de la religion, elle a pendant longtemps été banalisée par les dirigeants qui évitaient maladroitement (consciemment ?) de poser les questions essentielles. Le terrorisme a-t-il toujours OU forcément des soubassements religieux ? A la suite des récentes attaques terroristes, celles de Grand-Bassam ou de Belgique, les médias occidentaux ont tiré des conclusions hâtives assez faciles, et semble-t-il, logiques. Essayer d’éradiquer le terrorisme revient à découvrir les motivations des terroristes. Les attaques de Londres, Radison Hotel, les kamikazes de Boko Haram au Nord du Cameroun ou enfin ceux de Paris ont tous essayer d’être justifiés par des motifs religieux. A ce propos, l’auteur de Les Nouveaux Chrétiens(1975) estime que :
« la religion, au-delà du fanatisme, a pris une place excessive mais négative dans la société contemporaine car elle va à l’encontre de l’esprit critique, du doute ».
En fait, le doute est le contraire du fanatisme et la pratique de l’art oratoire à travers le débat contradictoire est une des voies pour la culture du questionnement et de la remise en cause perpétuelle et continuelle de la vérité. Il n’existe point une vérité mais des vérités, plurielles et diverses. Et c’est à chaque peuple de puiser dans la puissance de son imaginaire pour aller à la rencontre de l’Autre, entamer cette démarche vers et envers Autrui comme nous le recommandait Daniel Henri Pageaux.
Ces échanges avec l’écrivain furent momentanément agrémentés par des pauses lectures réalisées par les étudiants du Département de Langues et Littératures Françaises de l’Université d’Alexandrie dont la Directrice du Département, Mme Lana assurait la modération. L’identité sera le second point touché par notre romancier qui a vécu la situation de l’entre-deux (chaises), à cheval entre la culture égyptienne et la culture française dont il admirait les valeurs. En effet, la langue française pour lui était plus qu’une langue, elle exprime une richesse, une alternative à l’uniformisation (américanisation) culturelle du monde.
Or force est de constater aujourd’hui nous assistons davantage à un « gaspillage effroyable de la différence qui est lié à la peur du singulier » comme le remarquait le plasticien Philippe Mouillon. On nous parle de métissage mais le reconnaître et l’accepter ne suffit pas si cette tolérance ne fait que masquer un cannibalisme tranquille, une des perversités possibles du capitalisme tardif. Il ne s’agit point de fantasmer deux sortes d’identités, la mienne et l’autre, moi et l’étranger. L’identité n’est qu’un imbroglio fait d’emprunt, de bricolage composite, de digestion douloureuse, de détournement, de vol. Et cet étranger qui est producteurs d’étranges regards sur moi-même, il n’est pas seulement de l’autre coté de frontières géographiques, il est aussi en moi-même, parmi et en nous jusqu’à faire douter de l’existence de ce nous.
Toutefois, afin d’éviter de cultiver des identités meurtrières (Amin Maalouf), il faudrait une ouverture prudente et rationnelle vers l’étranger. Prudente car nous ne devrions pas nous dépersonnaliser ou être déracinés de nos valeurs culturelles mais aussi cultuelles. Le lauréat du Prix Méditerranée 1992 (Le Tarbouche : Seuil) nous recommande donc d’être trilingue : de parler d’abord nos langues maternelles pour l’enracinement culturel, ensuite l’anglais pour l’insertion (professionnelle) au monde et enfin la langue française ou l’espagnol, l’italien, le russe pour développer. La Francophonie à cet égard à un très grand défi à relever.
Le café s’acheva avec la cérémonie de remise des prix aux lauréats de la 4ème édition du Concours « Ecrire la Francophonie » organisé par l’Agence Universitaire de la Francophonie, la Bibliothèque Francophone de la Bibliotheca Alexandrina et l’Institut Français d’Alexandrie. Le premier prix revint au camerounais NGNAOUSSI ELONGUE Cédric Christian de l’Université Senghor, qui s’en réjouit à cela lui permettait, bien que néophyte, de découvrir un talent latent pour l’écriture littéraire. Le 2nd prix revint au nigérien Nasser HASSANE de l’Université d’Alexandrie et le dernier prix fut attribué au sénégalais Saliou DIOUF qui malheureusement n’était pas présent. Et comme d’habitude, l’écrivain en profita pour réaliser des dédicaces de ses principaux livres mis en exposition notamment : Le Pharaon renversé (2010), Vingt jours qui ont changé l’Égypte (2011), La Pierre de Rosette (1999), Sadate (2013), Mazag (2000), Une soirée au Caire (2010) ou Les Savants de Bonapartes (1998). Que je vous encourage à lire.
Pour l’instant je ne dispose point d’une bibliographie aussi florissante. Je ne suis qu’un petit qui s’initie petit à petit à la littérature et ce « petit » prix qu’il reçoit lui donne déjà de l’appétit.
Commentaires